De nombreux analystes s’accordent pour anticiper l’émergence de trois tendances économiques de fonds post-crise sanitaire actuelle : une adoption accélérée des nouvelles technologies, une refonte des chaînes d’approvisionnement globalisées et un renforcement des grands groupes, en lien avec les pouvoirs publics, pour organiser la nécessaire relance post-crise, au bénéfice du bien commun. Cette note s’attache à anticiper de quelles façons ces trois tendances peuvent impacter spécifiquement le secteur de l’énergie.
Adoption accélérée des nouvelles technologies
Au-delà des enseignements qui seront tirés par chaque entreprise de la conversion forcée au télétravail en termes de productivité et d’efficacité, la réflexion sera nécessairement étendue à l’augmentation du taux d’automatisation des processus de production et de gestion de l’énergie pour améliorer leur résilience à de nouveaux chocs.
Même si le secteur de l’énergie se caractérise par ses cycles longs, le souci d’adoption des nouvelles technologies et notamment du numérique n’est pas nouveau : l’exploitation des réseaux de transport ou des usines de production d’électricité s’appuie très largement sur des systèmes complexes de capteurs, automatismes et actuateurs.
L’après crise sera l’occasion d’accélérer l’adoption de nouvelles technologies (l’Intelligence Artificielle par exemple) ou le déploiement de ces technologies au niveau d’activités qui ne les ont intégrées que plus récemment : l’automatisation des réseaux de distribution par exemple ou les technologies numériques du côté des consommateurs.
Enfin, certaines filières, moins automatisables – la production de chaleur continue à base de charbon ou les filières biomasse avec des logistiques et des traitements d’intrants très manuels – pourraient être pénalisées face à une ré-estimation de la résilience des systèmes énergétiques.
Refonte des chaînes logistiques
Autre tendance de fond attendue dans le sillage de la crise : la relocalisation qui permet de lutter contre la trop grande dépendance à des chaînes d’approvisionnement globalisées. Celle-ci impactera défavorablement les consommations d’énergie directement liées aux chaînes logistiques (baisse des consommations de soutes maritimes). A l’inverse, elle augmentera les consommations industrielles domestiques.
Si cette volonté de relocalisation devait être étendue jusqu’au secteur de l’énergie, celle-ci pourrait se traduire par une volonté renforcée de développer les carburants de synthèse et les gaz renouvelables produits localement, ces derniers étant appelés à jouer un rôle clé pour assurer une sûreté d’approvisionnement d’un système énergétique comprenant une forte proportion de production électrique intermittente.
Il faut cependant souligner que dans la tourmente sanitaire, les systèmes énergétiques se sont jusqu’à présents montrés résilients, certes aidés en cela par la baisse de la demande. La résilience des chaînes d’approvisionnement pétro-gazières repose sur la diversification des sources d’approvisionnement ; mais dans un monde globalement affecté par la crise sanitaire, et donc face à un risque systémique, les chaînes d’approvisionnement se montrées robustes. Seul a été notablement affecté le stockage pétrolier, saturé par les excédents de production. Cette saturation a pour conséquence inattendue des prix négatifs du brut dans certaines régions du monde, où l’interruption d’exploitation de certains sites serait économiquement plus pénalisante que de payer pour que la production soit emportée.
Inversement, les chaînes d’approvisionnement locales en biomasse pourraient être affectées par la crise sanitaire, par exemple celles reposant sur les déchets de la restauration.
Ironiquement, la vulnérabilité de chaînes d’approvisionnement globalisées pourrait être réévaluée face au constat que les seules usines qui ont recommencé à fonctionner aujourd’hui sont situées en Chine ; pour les industriels disposant d’usines en Chine, le bien-fondé de la stratégie de diversification géographique de leurs implantations pour lutter contre les différents risques qui peuvent affecter leur activité, en paraît confirmé.
Renforcement des grands groupes du secteur de l'énergie
Partout dans le monde, face à l’émergence d’une crise économique sans précédent, les gouvernements préparent leur riposte. En Europe, les programmes de relance économique pourraient prendre la forme d’un « green deal » encourageant par exemple la rénovation énergétique des logements et des bâtiments tertiaires, la mobilité décarbonée, le développement des filières renouvelables, ou conditionnant les plans d’aide sectoriels au repositionnement des entreprises sur des produits et des services « soutenables » (la production de véhicules électriques par exemple). La Chine, sortie plus tôt de confinement, pourrait ouvrir la voie. Ainsi, un projet public de production de plus de 400 000 tonnes d’hydrogène décarboné par an aurait été confirmé en mars en Mongolie Intérieur, pour un coût de près de 3 milliards d’euros.
En France, un tel « green deal » s’inscrirait dans le prolongement du Pacte Productif initié il y a un an, dans lequel l’environnement figurait déjà en bonne place. Les cinquante recommandations de la Convention citoyenne pour le Climat vont également dans ce sens.
La mise en œuvre de ces programmes de grande ampleur invite les gouvernements à s’appuyer sur les grands groupes du secteur de l’énergie. Ainsi, le déploiement de grandes infrastructures serait plus facilement piloté s’il était confié à ces grands groupes qui disposent de l’expérience et des moyens opérationnels. En France, les questions du programme nucléaire, du développement de la production de masse d’hydrogène, du transport et du stockage du CO2, parmi d’autres exemples, seront probablement sur la table.
Dans ce cadre, l’articulation entre les pouvoirs publics, ces groupes industriels mais aussi des bailleurs de fonds publics et privés (fonds infrastructures) devra être définie. Le plan « Hercule » autour de l’évolution de l’organisation d’EDF préfigurait ces questions : si les risques ultimes sur le taux d’utilisation de ces grandes infrastructures voire sur le coût et les délais de construction ou les risques d’exploitation sont portés par les pouvoirs publics et donc, in fine, par la collectivité nationale, quelle doit être la gouvernance qui régit leurs relations ? dans un schéma plus administré, comment, et à quels endroits sur la chaîne valeur, maintenir un juste niveau de concurrence qui garantit la performance des acteurs au bénéfice de la collectivité ?
Come writers and critics
Who prophesize with your pen
And keep your eyes wide
The chance won't come again
And don't speak too soon
For the wheel's still in spin
And there's no tellin' who
That it's namin'
For the loser now
Will be later to win
For the times they are a-changin'.
Bob Dylan - The Times They Are A Changing
Pierre Germain
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