
Lien vers la note complète: Bilan et perspectives de la filière biogaz traitant des co-produits agricoles et des biodéchets
Le développement de la filière biogaz s’inscrit dans un contexte plus large que la simple politique énergétique, associant à la production d’énergie verte et décarbonée (électricité, chaleur et gaz de réseau) des objectifs en termes de solution de traitement des biodéchets, de solution d’amélioration de l’empreinte environnementale de l’agriculture et en particulier de l’élevage, d’optimisation du potentiel agronomique de l’épandage, diversification des revenus du monde agricole). La dynamique de développement des installations à la ferme et des installations dites « territoriales » [1] est allée croissant depuis la mise en place des tarifs en 2006 (plus de 50 installations ont été mises en service en 2014 représentant ~12 MWe). Ces installations traitent une nature d’intrants qui représente l’essentiel du gisement restant à exploiter (90% des 56 TWh mobilisables proviendront du secteur agricole d’après l’ADEME). Elles représentent à fin 2014 ~52% des sites installés pour 20% des capacités totales de la filière.
Or, les sites existants à la ferme et territoriaux rencontrent des difficultés – mises en lumière par l’état des lieux de la filière réalisé par E-CUBE Strategy Consultants [2] – qui pourraient freiner la dynamique de développement, conduisant à une perte de compétences et de savoir-faire accumulés par les prestataires et se traduisant in finepar des capacités de production et un parc installé inférieurs aux objectifs gouvernementaux [3]. Ces difficultés, constatées sur un parc composé très majoritairement d’installations valorisant le biogaz via la cogénération, pourraient aussi impacter la valorisation injection, plus récente, mais qui partage un cœur de processméthanisation et des enjeux amont (approvisionnement) – aval (gestion du digestat) communs.
De fait, l’état des lieux révèle que la quasi-totalité des sites en fonctionnement font face à des aléas imprévus [4]. Pour une grande majorité, cela se traduit par une rentabilité inférieure aux attentes. Ce décalage constaté entre les prévisions initiales inscrites dans les business plans et les revenus et coûts effectifs des sites révèlent plusieurs spécificités et fragilités de la filière :
Sa grande diversité, fruit à la fois du modèle de méthanisation à partir de déchets souhaité par les pouvoirs publics (par opposition à un modèle « standardisé » à partir d’intrants dédiés fortement méthanogène – le maïs en Allemagne) mais également de la diversité des porteurs de projets (filière très diffuse) et des choix de conception retenus ;
Un référentiel technologique et de coûts inadapté : le modèle de méthanisation allemand est peu adapté pour la majeure partie des cas en France ;
Une maturité encore faible des acteurs de la filière – aussi bien côté porteurs de projets que prestataires – qui se traduit par des pratiques non standardisées et une absence de norme de qualité ;
Un parc qui reste limité et une dynamique de développement fragile avec une rentabilité difficile à atteindre pour les nouveaux projets qui utilisent des référentiels de coûts plus adaptés à la réalité de la « méthanisation à la française », plus élevés. Cet état de fait contribue au maintien de pratiques qui fragilisent à terme l’équilibre économique de la filière : sous-estimation des coûts en phase de développement pour « faire passer » les projets ; insuffisance de structures locales de SAV et de stocks de pièces de rechange qui rendent la maintenance des sites coûteuse et complexe.
Le décalage entre coûts prévisionnels et réalisés s’est amenuisé dans le temps grâce au retour d’expérience accumulé par les acteurs, mais persiste en partie. Or, il est important que la filière française s’appuie sur des coûts réels liés à son modèle pour développer des politiques de soutien efficace. Dans un second temps, des leviers d’optimisation peuvent être actionnés :
Sur les CAPEX : les investissements supplémentaires engendrés dans un premier temps par les équipements amont et aval du méthaniseur pour traiter la matière entrante et favoriser le retour au sol du digestat pourraient être compensés par des réductions de coûts liés à la recherche sur des conceptions optimisées et adaptées à la méthanisation à la française ; à terme, un nombre limité de schémas de conception et de technologies devraient émerger et permettre une standardisation (qui ne pourra porter ses fruits que si la dynamique de développement en volumes est suffisante). La généralisation des pratiques de mise en concurrence des prestataires par les porteurs de projet pourrait également participer à cette optimisation des CAPEX.
Sur les OPEX : la sécurisation et l’optimisation des coûts de fonctionnement des sites devraient être atteintes en partie par l’amélioration de la conception des sites qui limitent les pannes liées à l’usure prématurée du matériel en phase d’exploitation ; le recours à des contrats de maintenance préventive avec une mise en concurrence des prestataires pourrait également aller dans le sens d’une meilleure maîtrise des OPEX. Par ailleurs, des économies sur les coûts de maintenance sont également envisageables une fois que le parc aura atteint une taille critique qui permet aux acteurs de se doter d’un SAV local et de développer des stocks en conséquence. Enfin, la mise en place dès la phase de conception d’une flexibilité des sites sur la typologie d’intrants qui peuvent être incorporés, le développement d’une gestion dynamique de l’approvisionnement pour éviter / limiter l’impact négatif de l’évolution des coûts de sourcing en intrants externes complémentaires constituent d’autres pistes à explorer. Sur ce volet, une approche comparative des écarts de compétitivité entre méthaniseurs français et frontaliers – belges notamment – pourrait également apporter des éléments de sécurisation de l’approvisionnement des sites français via une rectification des écarts de compétitivité le cas échéant.
[1] Désigne des installations traitant les déchets divers produits sur un territoire et non traités via des activités industrielles existantes (traitement des eaux usées, installations de stockage de déchets non dangereux principalement) : effluents et autres résidus de l’agriculture, déchets verts des collectivités, biodéchets (issus de l’industrie agro-alimentaire, de la restauration, invendus des GSA)
[2] Etude commanditée par l’ATEE, les fédérations agricoles (Chambre de l’Agriculture, APCA, AAMF), GRTGaz, GrDF, Engie, Crédit Agricole SA, publiée le 26 novembre 2015
[3] 6 TWh de biogaz à horizon 2023 prévus dans la première version de la PPE ; 1 500 méthaniseurs à la ferme prévus d’ici 2018 (appel à projet lancé par Ségolène Royal en septembre 2014)
[4] 94% des sites interrogés en fonctionnement à fin 2013 ; taux de réponse de 44% sur le panel ciblé