Pour en savoir plus sur l’étude : POV_E-CUBE_Prix négatifs de l’électricité
En France, bien qu’autorisés sur les marchés depuis 2010, les prix négatifs restent aujourd’hui extrêmement rares avec de l’ordre d’une dizaine d’heures par an depuis 2012, soit à un niveau inférieur à l’Allemagne (~56 h en 2013) et surtout l’Espagne[1] (~479h en 2013) et certains marchés américains (plus de 10% du temps soit 900h sur le marché intraday de la zone ERCOT West).
Etant donné la structure du parc de production français, le nombre d’heures de prix négatifs devrait rester limité à court-terme (avant 2020). Cependant, sans changement règlementaire sur les modalités d’intégration des ENR au réseau, la croissance des capacités éoliennes et solaires dans le mix de production devrait engendrer une augmentation significative de la fréquence d’apparition des prix négatifs qui pourrait atteindre jusqu’à ~1100 h/an (soit ~12% du temps dans l’année) sur le marché français à horizon 2030.
Ces prix négatifs apparaissent comme des anomalies ; ils sont toutefois liés au cadre réglementaire en vigueur et s’expliquent aisément d’un point de vue économique. En effet, les centrales thermiques peuvent parfois avoir un intérêt à maintenir leur production, même lorsque le système électrique n’en a pas besoin et n’envoie pas les « signaux de prix » favorables (typiquement en cas de forte production ENR), afin d’éviter des cycles « arrêt-démarrage » coûteux. Ce phénomène aboutit à des prix négatifs qui reflètent la préférence que peuvent avoir ces producteurs à payer des consommateurs pour assurer un débouché à leur production afin d’éviter des coûts d’ « arrêt-redémarrage » qui seraient encore plus pénalisants.
Si ce phénomène peut paraître avantageux à court terme pour les consommateurs en entraînant une baisse des prix de marché de gros[2], il masque en réalité une inefficacité économique qui sera payée in fine, à long terme, par l’ensemble des acteurs du système électrique (et notamment les consommateurs)[3]. En effet, d’un point de vue économique, pour la collectivité nationale, la majorité des centrales ENR seraient plus efficaces que les centrales thermiques pour moduler leur puissance à la baisse car les coûts marginaux engendrés par les arrêts-démarrages des capacités ENR sont généralement plus faibles que ceux des centrales thermiques (ex : pitch des pâles sur une éolienne). Pourtant, le cadre réglementaire actuel, qui donne aux ENR la priorité d’intégration au réseau et une rémunération « hors marché », n’incite pas ces capacités à moduler leur puissance à la baisse.
L’augmentation de la fréquence de prix négatifs fait ainsi émerger trois enjeux :
1. En cas de surplus d’offre sur le système électrique, les ENR doivent participer à la modulation du système à la baisse
L’arrêt de la rémunération des ENR lors des périodes de prix négatifs permettrait d’inciter les ENR fatales à moduler leur puissance à la baisse et devrait faire disparaître l’occurrence des prix négatifs. C’est pour cette raison que la Commission Européenne recommande ce schéma réglementaire dans ses nouvelles « lignes directrices[4] ».
2. Pour tenir les objectifs de développement EnR, les mécanismes de soutiens devront être adaptés en conséquence
Cette nouvelle règle d’intégration des ENR pourrait engendrer une baisse de la production et donc de la rémunération de ces actifs pouvant aller jusqu’à ~ 20% (à horizon 2030) si les aides qui leurs sont accordées ne sont pas revalorisées pour tenir compte de la baisse du productible engendrée ou si l’effacement de production n’est pas rémunéré. Sans ces adaptations, ce nouveau schéma réglementaire augmentera le risque porté par les investisseurs ENR, allant ainsi à l’encontre des objectifs ambitieux fixés par l’Europe en matière de développement des capacités ENR.
3. De nouvelles solutions devront être développées pour exploiter cette production renouvelable effacée
A moyen-terme et long-terme, de nouvelles solutions devront se développer pour exploiter cette production effacée afin de maximiser la valeur des EnR : le développement de la stimulation intelligente de la demande[5], de solutions de stockage de l’énergie (stockage gravitaire, batteries électrochimiques, hydrogène,…), du « power-to-gas » et de capacités de production thermiques plus flexibles.
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[1] Le marché Espagnol ne permet pas les prix négatifs. Les prix comptabilisés ici sont les prix nuls qui signalent les prix qui auraient pu être négatifs
[2] En Allemagne, le prix moyen de l’électricité sur le marché day-ahead a baissé de 32% de 2010 à 2013 ; une partie de cette baisse est imputable aux épisodes de prix négatifs
[3] Notamment à travers la future rémunération de la capacité des centrales thermiques liée à l’émergence des marchés de capacité : en effet, une situation dans laquelle les producteurs ne parviennent pas à compenser leur coût complet de production ne peut être pérenne car détruit toute incitation à l’investissement en capacité de production
[4] European Commission, 2014 – “Guidelines on State aid for environmental protection and energy 2014-2020” – Paragraphe §125) c) “Measures are put in place to ensure that generators have no incentive to generate electricity under negative prices”
[5] ie non uniquement la capacité à diminuer momentanément sa consommation (effacement) mais bien aussi la capacité à augmenter momentanément celle-ci (stimulation de la consommation) – ce qui permettra « d’absorber » les surplus de production ENR
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