Pour en savoir plus : Prospectus détaillé de l’étude
L’article L 100-1 du code de l’énergie dispose que la politique énergétique française vise (notamment) à « préserver la santé humaine et l’environnement, en particulier en luttant contre l’aggravation de l’effet de serre ». Notre étude cherche à apprécier l’efficacité économique des politiques publiques énergétiques sur le critère correspondant à cet objectif : les émissions de CO2.
Conceptuellement, les tarifs d’achat des filières de production renouvelable ont pour objectif de permettre à ces technologies émergentes d’atteindre la compétitivité économique, en créant les débouchés qui justifient des investissements en R&D, et en permettant de bénéficier d’effet d’échelle. Ils n’ont donc pas pour vocation directe la réduction des émissions de CO2 du parc.
Toutefois, à court terme, ce sont bien les externalités qui représentent le bénéfice concret que la collectivité retire de son effort de subventionnement. Par ailleurs, l’analyse montre que les externalités autres que le CO2 évité (réduction du déficit de la balance des paiements, création d’emplois, réduction du risque nucléaire, diversification des sources d’approvisionnement, retombées sur la politique agricole?) représentent une valeur économique de second ordre par rapport à la « valeur CO2» des ENR (comprise entre ~30 et ~70 ?/MWh, selon le facteur d’émission de l’actif marginal substitué, si l’on se réfère au coût social du carbone du rapport Stern). Notre étude compare donc le niveau des subventions publiques par tonne de CO2 évitée (ie le coût d’abattement) d’une trentaine de filières production renouvelables (électricité, gaz, chaleur), de l’effacement, des actions d’efficacité énergétique ou encore des nouvelles filières de « transport vert ».
Nos travaux montrent tout d’abord, qu’en France, le développement des filières ENR électriques est peu efficace, d’un point de vue économique, pour atteindre l’objectif de lutte contre le changement climatique.Ces filières sont subventionnées par les consommateurs via la CSPE ; lorsqu’elles produisent, chaque MWh substitue le MWh marginal du système électrique, qui selon l’ordre de préséance économique, est le plus souvent un MWh produit par une filière fossile (gaz ou charbon). Le montant de la subvention accordée par la collectivité pour produire ce MWh sans carbone est alors mis en regard du « contenu carbone » du MWh marginal évité.
Un premier constat s’impose : les coûts d’abattement varient dans un rapport de 1 à 10. Second constat, actuellement, seul l’éolien terrestre présente une performance coût par tonne de CO2 évitée raisonnable (de l’ordre de 40 à 50 euros) par rapport à des valeurs carbone de référence.
Ainsi, le rapport Quinet, sur l’instauration d’une taxe carbone sur les énergies fossiles proposait-il 32 ?/t CO2 en 2010 pour atteindre 100 ?/t CO2 en 2030. Or, pour les autres filières électriques renouvelables, l’effort financier demandé au consommateur d’électricité français (via la CSPE) est compris entre 200 et 400 euros par tonne de CO2 évitée. En pratique, 75% de la part ENR de la CSPE est dédiée à des filières « non performantes » selon le critère CO2.
Notre analyse montre également que cette performance des ENR électriques se dégradera à l’avenir avec la réduction de la part du nucléaire dans le mix électrique. Un MWh nucléaire n’émet pas de CO2 ; hors chaque MWh nucléaire sorti du mix sera substitué par une fraction de MWh ENR (émission de CO2 nulle également) plus une fraction de MWh d’origine fossile (provenant de centrales charbon ou gaz qui serviront de back-up à la production intermittente). Dans un scénario de sortie du nucléaire, couplé à un déploiement massif des filières ENR électriques, les émissions de CO2 à 2025 pourraient augmenter de 50% par rapport à 2011 (de 30 à 45 Mio de tonnes/an).
En outre, le contenu carbone du MWh marginal évité est inférieur en 2025 par rapport à 2013, car à cet horizon le gaz a remplacé le charbon dans le mix électrique ; or, 1 MWh charbon contient 2 fois plus de CO2 qu’un MWh gaz. En conséquence, la production ENR « décarbonne » moins la production électrique française : la tonne de CO2 évitée coûte plus cher en subvention (+50% en moyenne par rapport à aujourd’hui).
Un constat identique est réalisé en Allemagne, pays qui a d’ores et déjà vu son taux d’émission carbone augmenter et qui planifie la construction de nouvelles centrales charbon : les trois quarts des subventions dédiées aux ENR alimentent des filières à des coûts d’abattement supérieurs à la valeur sociale du carbone de 70 ?/t CO2 selon le rapport Stern.
L’efficacité économique « abattement de CO2» du biométhane et de la production de chaleur à partir de biomasse est distribuée dans les mêmes plages que les filières ENR électriques. Les filières les plus efficaces (biométhane injecté ISDND ou les meilleures biomasse chaleur urbaines) sont au même niveau que les filières électriques les plus efficaces (cogénération biogaz ou biomasse). Les moins efficaces (biométhane injecté petites installations déchets agricoles ou biomasses chaleur urbaines les moins performantes) sont au niveau des moins efficaces des filières électriques (PV < 100 kW).
Dans cette phase de technologies émergentes, les surcoûts de production entre les filières de transport « vertes » et les filières fossiles ne sauraient trouver comme seule justification la réduction des émissions de CO2. Aux niveaux de coûts et de subvention actuels de ces filières, les coûts d’abattement du CO2 sont supérieurs à ceux des filières électriques renouvelables les plus coûteuses. Dans la filière des biocarburants, le bilan est aussi mitigé avec des coûts d’abattement (différence de coût entre gazole fossile et gazole de synthèse de 2nde génération -méthode ACV) se distribuant dans la fourchette haute des filières électriques renouvelables.
Si, selon le seul critère de la réduction des émissions de CO2, les filières de production d’électricité à partir de gaz revendiquaient une subvention pour maintenir en activité les usines de production sinon condamnée à la fermeture, le coût d’abattement serait l’un des plus performants de notre analyse. Le maintien du prix du gaz et la chute récente de celui de l’électricité, ont fortement dégradé la compétitivité des actifs gaz dont les revenus du marché sont aujourd’hui inférieurs au coût complet de production. Or du point de vue environnemental, la substitution de la filière gaz par le charbon est désastreuse, le contenu CO2 d’un kWh charbon étant ~2,5 fois plus élevé que celui du gaz. Une subvention à hauteur de la missing money des actifs gaz (~60 ?/kW en 2011), motivée par le potentiel de réduction des émissions de CO2 conduirait à des coûts d’abattement plus raisonnables que la plupart des filières ENR électriques.
Au-delà des filières de production d’énergie renouvelable, la filière la plus performante économiquement d’un point de vue environnemental est l’efficacité énergétique. Certaines actions d’efficacité énergétique sont déjà intrinsèquement rentables (ce qui se traduit par un coût d’abattement négatif). Pour les autres actions, le coût d’abattement reste relativement faible par rapport aux filières de production renouvelables.
L’analyse des performances comparées des différentes filières en termes de coût d’abattement CO2 suggère qu’il pourrait être opportun de faire évoluer les mécanismes de soutien aux mesures d’efficacité énergétiques. L’objectif de la CSPE est de permettre à des filières d’atteindre, à terme, la compétitivité économique, ce qui aura pour conséquence de réduire ou d’annuler les coûts d’abattement. Toutefois, face à l’urgence climatique, il est permis de s’interroger sur une mauvaise priorisation des actions qui vise à la combattre. Ainsi, au regard des mérites des actions d’efficacité énergétique et des critiques pesant sur le dispositif CEE, il pourrait être opportun de développer des mécanismes incitatifs alternatifs : par exemple développer un mécanisme de type CSPE destiné à subventionner directement les filières Efficacité Energétique qui ne sont pas rentables avec les prix actuels de l’énergie.
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